Étonnamment à l’heure, l’air détendu et visiblement très content de la sélection des films et des nombreuses stars hollywoodiennes censées défiler sur le tapis rouge cette année, Thierry Frémaux a répondu à la presse. Et les questions des journalistes, venus inhabituellement nombreux, ont fusé, lors de cette dernière conférence avant l’ouverture du Festival de Cannes ce mardi 14 mai au soir.
« Pourquoi cela a mis plus de vingt ans avant que, avec All We Imagine As Light de Payal Kapadia, un film du cinéma indien indépendant soit programmé en compétition à Cannes ? » « Pourquoi le film du cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a-t-il été sélectionné si tard ? » « Le choix de Motel Destino de Karim Aïnouz, confirme-t-il un renouveau du cinéma brésilien ? »
« Ce n’est pas le Festival qui décide, mais c’est toujours les films qui se font sélectionner par Cannes. Ils nous disent : sélectionnez-moi ! », a répondu Thierry Frémaux à sa manière particulière, en tant que spécialiste du cinéma portant la ceinture noire du judoka qui cherche à faire perdre l’équilibre à l’autre en face, quand une question délicate surgit.
En même temps, le sélectionneur de Cannes est conscient de l’aura mondiale du Festival et n’hésite pas à comparer le soft power de la Croisette aux Jeux olympiques à venir : « Les grands évènements mondiaux, c’est les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football, le Tour de France et le Festival de Cannes ! Et le Festival de Cannes est le seul évènement culturel ! »
La présence très médiatique du court métrage de Judith Godrech à Cannes s’inscrit pour Frémaux dans l’histoire du Festival. Semblable à la présence l’année dernière d’un court métrage documentaire sur l’enlèvement d’enfants ukrainiens par l’armée russe, cette année se sont imposées à l’ouverture de la section Un certain regard les 17 minutes de Moi aussi, de Judith Godrech, pour faire résonner le mouvement #MeToo et les voix des victimes de harcèlement sexuel dans le cinéma.
Sans aucun doute, la Croisette est the place to be, pendant les deux prochaines semaines, pour voir défiler les célébrités et les légendes du cinéma et pour débattre autour des sujets qui émeuvent le monde d’aujourd’hui. Malgré toute la gloire revendiquée, Frémaux n’oublie pas une chose apprise depuis qu’il est en charge du Festival : un film peut changer le regard sur le monde, mais pas le monde. Donc, demander si le film The Apprentice, du réalisateur danois d’origine iranienne Ali Abbasi sur la jeunesse de Donald Trump, pourrait changer l’élection américaine de novembre, reste pour lui une « question utopique ».
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Mais parfois, les utopies semblent plus réalistes que les vérités dictées par les dictatures. Quelques heures après la conférence de presse de Thierry Frémaux, Mohammad Rasoulof a annoncé sur Instagram avoir pu quitter illégalement l’Iran, et donc échapper à sa condamnation à huit ans de prison et aux coups de fouet, confirmée le 8 mai par un tribunal de Téhéran. On verra bien si le réalisateur iranien sera présent lors de la montée des marches de son film, The Seed of the Sacred Fig, vendredi 24 mai.