Dès qu’on approche des régions frontalières de l’Ukraine, en train ou par la route, à 200 ou 300 kilomètres, les pannes d’internet sont constantes. Par moment, même passer un simple coup de fil ou recevoir un SMS est impossible, et cela peut parfois durer plusieurs heures. La raison, disent les autorités, est simple : il faut bien pouvoir brouiller les ondes pour désorienter les drones envoyés d’Ukraine.
Un volontaire des brigades locales de Belgorod – qui a demandé l’anonymat pour s’exprimer – confie : « Nous avons tout ce qu’il faut en matière de systèmes de guerre électronique. Mais l’armée ukrainienne est déjà en train de mettre en place d’autres fréquences d’utilisation. Jusque-là, ses drones volaient à basses fréquences, mais ça a commencé à changer, et donc, nos monitorages ne sont plus aussi efficaces qu’ils l’étaient il y a encore six mois ou un an. »
Le résultat sur le terrain est sans appel, et sa description sans fioritures. « Avec certains de leurs drones, on ne peut plus compter que sur ses yeux et ses oreilles. Et un drone, si vous pouvez déjà le voir et l’entendre, alors il est plus que temps de le descendre, ou de courir très vite. »
Certains drones deviennent de plus en plus compliqués à intercepter, et la flotte de ces engins, aux dires de ce volontaire, est de plus en plus nombreuse et variée, selon les zones et les objectifs à atteindre. « Les drones Darts volent sur Belgorod. La plupart des drones FPV, eux, volent le long de la frontière. Et bien sûr, les drones de reconnaissance sont constamment dans les airs, à la fois les nôtres et ceux de l’Ukraine. Lorsque nous travaillons à un kilomètre de la frontière, ou disons, très près de la ligne de contact, leurs drones peuvent décoller toutes les minutes vers nous. »
Enfin, il y a aussi ceux qui ne sont pas destinés à la région. « Bien que nous soyons ici à 600 kilomètres de Moscou, des drones passent, car ils sont destinés à des cibles de la capitale. La plupart d’entre eux sont d’ailleurs abattus ici, dans le ciel de la région de Belgorod », précise le combattant.
Une compétition à l’innovation permanente
Ce volontaire dit avoir abattu, au début de l’été dernier, son premier drone ukrainien à fibre optique, c’est-à-dire un drone imperméable au brouillage, fonctionnant grâce à un long fil discret qui peut aller jusqu’à une poignée de dizaines de kilomètres. La compétition à l’innovation sur le champ de bataille est permanente. Le temps d’adaptation aux nouvelles armes utilisées par le camp adverse est, lui, de plus en plus réduit.
Les chiffres de production de drones russes, eux, relèvent évidemment du confidentiel défense. Mais la Russie, périodiquement, montre les muscles. Le 21 juillet, Zvezda, une chaîne de télévision du ministère de la Défense, diffusait des images rares à l’intérieur de l’usine de drones de Ielabouga dans le Tatarstan, la plus grande du monde selon elle. La vidéo de 40 minutes montrait des ouvriers aux visages floutés ou dissimulés derrière des masques chirurgicaux, en train d’assembler des drones triangulaires. Ces drones, nommés Gueran-2, sont la version russe du Shahed-136 iranien et sont largement utilisés sur les frappes en profondeur en Ukraine. Pour la première fois cette année, le Gueran a même figuré au rang des armes présentées lors du défilé militaire du 9 mai sur la Place rouge.
Plus récemment, le 19 octobre, le ministère russe de la Défense se félicitait aussi des prouesses d’un autre de ses drones, parmi le large éventail d’engins meurtriers dont il dispose : le drone d’attaque kamikaze Molniya. Un drone, disait le ministère, « de configuration similaire à celle d’un avion, capable d’emporter 6 kilos d’explosifs sur une portée de 50 kilomètres », des performances qu’il juge comparables au désormais très connu Lancet.
Moscou adapte sa législation
Parallèlement, la Russie se félicite toujours haut et fort de sa capacité d’interception. Le secrétaire général du Conseil de sécurité, Sergueï Choïgou, affirmait encore mardi 28 octobre que moins de 1% des drones des forces armées ukrainiennes atteignaient leurs cibles. Mais face aux attaques sur les infrastructures dites « critiques » en région, Moscou prend des mesures.
La Douma a adopté un projet de loi visant à déployer des réservistes pour les protéger. Ces réservistes devront exercer au sein de nouvelles unités de volontaires. Le texte n’attend plus que sa promulgation, mais selon le journal Kommersant, le dispositif est très avancé par endroit : les autorités de la région de Léningrad ont ainsi, selon le quotidien, déjà entamé la formation d’une unité chargée de protéger la région contre les attaques de drones et le sabotage. Selon le gouverneur Alexandre Drozdenko, l’unité, qui doit recruter 105 personnes, sera la première de Russie à opérer. Le président de la commission de la défense de la Douma, Andreï Kartapolov, a de son côté précisé que les réservistes ne seraient pas forcément destinés à servir dans leur région d’origine.
Jusqu’à présent, les réservistes ne pouvaient être rappelés sous les drapeaux qu’en temps de guerre – la Russie ne se considère pas officiellement en guerre avec l’Ukraine – ou de mobilisation. La réserve de mobilisation du ministère de la Défense, créée par décret de Vladimir Poutine en 2015, compte jusqu’à deux millions d’hommes.