
C’est une victoire en demi-teinte pour la société civile et les scientifiques mobilisés contre la loi Duplomb. Après des mois de reculs environnementaux, c’est une « heureuse surprise », selon l’association France Nature Environnement, que le Conseil constitutionnel a offerte aux plus de 2,1 millions de Français ayant signé une pétition contre la loi.
Pour Alexandre Cobigo, de la Ligue contre le cancer, les sages ont également donné raison aux nombreuses associations et scientifiques mobilisés, en reconnaissant l’impact des néonicotinoïdes sur la santé. Car ce pesticide aurait, entre autres, des effets sur le développement du cerveau – notamment chez les enfants – et une présomption de liens avec certains cancers : « Nous, à la Ligue contre le cancer, avions pris position contre l’acétamipride au nom du principe de précaution, parce que des études montrent que des mécanismes cancérigènes peuvent être déclenchés par l’exposition à l’acétamipride et à certains néonicotinoïdes. » Le ministre français de la Santé a appelé vendredi à réévaluer au niveau européen l’impact sur la santé humaine de l’acétamipride. En cas d’impact avéré sur la santé humaine, « il faudra naturellement interdire ce produit », a déclaré Yannick Neuder au micro de France Inter au sujet de ce pesticide interdit depuis 2018 en France mais autorisé en Europe jusqu’en 2033.
Une bonne nouvelle aussi pour les sols, l’eau et pour les pollinisateurs comme les abeilles, affirme Marc-André Sélosse, écologue et membre de l’Académie d’Agriculture de France. Mais selon lui, de nombreuses dispositions problématiques du texte ont été maintenues, notamment la facilitation de la construction de bâtiments d’élevage intensif et des grandes réserves d’eau agricoles – les très controversées mégabassines : « L’autorisation des mégabassines n’adapte pas du tout l’agriculture au changement climatique. Le changement climatique, c’est aussi des étés plus chauds, et même avec de l’eau, les cultures actuelles vont griller. Il faut faire autre chose : changer de variétés et de culture. »
Pour Marc-André Sélosse, c’est donc une victoire mitigée : « Il y a des points de satisfaction : l’acétamipride est toxique pour l’environnement et très probablement pour l’homme. Il l’est surtout pour les sols et les pollinisateurs. C’est donc une très bonne chose. Mais d’autres dispositions n’ont pas été supprimées : l’autorisation des bassines, l’autorisation ou la facilitation d’autorisation d’installation d’élevage intensif, la loi Duplomb revient aussi sur la séparation entre le conseil et la vente des pesticides… »
Les écologistes et les scientifiques dénoncent aussi les tentatives du gouvernement de peser sur l’agence sanitaire qui autorise les pesticides. « L’Anses est désormais sous la tutelle d’un comité de pilotage incluant des acteurs de la filière agroalimentaire. C’est comme si, en plein scandale de l’amiante, on mettait les industriels du bâtiment aux commandes », détaille Marc-André Sélosse.
Le verdict du Conseil constitutionnel est néanmoins un petit coup de tonnerre estival pour les betteraviers, qui espéraient depuis longtemps pouvoir à nouveau utiliser l’acétamipride. Guillaume Gandon, vice-président de la Confédération générale des planteurs de betteraves, reçoit cette décision avec amertume : « C’est une surprise, et évidemment une déception. Cet insecticide était l’un des seuls efficaces contre le puceron vecteur de la jaunisse. Sans lui, les rendements seront amputés. (…) La culture de la betterave sera beaucoup moins rentable que d’autres, et on craint, dans les prochains mois et dans les années à venir, une baisse considérable des surfaces de betteraves. La conséquence inévitable, c’est la fermeture d’usines. Ce qu’on va très rapidement demander au gouvernement, c’est un plan social, parce qu’il va falloir s’occuper de tous les salariés qu’on va abandonner au fur et à mesure des fermetures d’usine. »
Le sénateur LR Laurent Duplomb, dont la loi a été en partie censurée la veille par le Conseil constitutionnel, n’a pas exclu un nouveau texte pour réintroduire le pesticide acétamipride contesté, mais en tenant compte cette fois des critères imposés par les Sages. Les Sages ont estimé que « faute d’encadrement suffisant », cette mesure était contraire au « cadre défini par sa jurisprudence, découlant de la Charte de l’environnement », selon un communiqué.