Avant d’entamer, mercredi 1er mars, sa tournée sur le continent africain qui le conduira au Gabon, en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo, le président français, Emmanuel Macron, a présenté, ce lundi 27 février, les nouvelles orientations de sa politique africaine. Premières réactions recueillies par RFI.
Libreville, capitale gabonaise, est la première étape de cette tournée où nous retrouverons notre envoyée spéciale Paulina Zidi.
« C’est une discussion d’avant match, avant de se déplacer sur le terrain », a déclaré Emmanuel Macron pour évoquer ce discours sur le futur partenariat Afrique-France, un discours qu’il a donc voulu faire en France parce que cela concerne aussi les Français. Ne pas parler d’Afrique qu’en Afrique, mais mobiliser avant ce déplacement marathon.
Quatre pays, en quatre jours – le Gabon, l’Angola, le Congo-Brazzaville et la République démocratique du Congo (RDC) – et quatre thématiques : la lutte contre le changement climatique et la protection des forêts à Libreville, la sécurité alimentaire à Luanda, les questions mémoriales à Brazzaville et enfin les échanges et les partenariats économiques, scientifiques et culturels à Kinshasa.
Une longue séquence pour ce 18ᵉ déplacement du président français sur le continent, le deuxième en Afrique centrale en à peine six mois. « J’assume cet accent tonique », a ajouté Emmanuel Macron, dans une région en proie à des défis sécuritaires, mais aussi environnementaux, sanitaires et autres.
Un exercice d’équilibriste aussi pour le président français qui se rend dans deux pays, le Gabon et la RDC, en pleine année électorale, avec des présidentielles prévues, respectivement à la fin de l’été et en fin d’année, un calendrier qui a déjà notamment fait réagir une partie de l’opposition et de la société civile gabonaise pour qui ce déplacement pourrait être perçu comme un soutien au président Ali Bongo qui pourrait briguer un troisième mandat.
C’est le cas de Marc Ona, coordinateur du mouvement « tournons la page » qui parle de sa « déception » au micro de Guillaume Thibault, de la rédaction Afrique. « J’aurais aimé que monsieur Macron mette l’accent sur la gouvernance », nous dit-il.
C’est la déception… Monsieur Macron est passé rapidement sur la corruption, il n’a pas prononcé le mot ‘bonne gouvernance’ … L’Afrique aujourd’hui est complètement délabrée parce que la gouvernance politique a occulté tous les autres aspects : ce sont les hommes providentiels qui décident, qui créent les institutions, qui font la pluie et le beau temps en Afrique en violation des Constitutions et des textes
Marc Ona : C’est la déception…
Suivi du discours à Dakar au CESTI
Au Sénégal, notre correspondante Charlotte Idrac a suivi le discours avec des étudiants de l’école de journalisme du CESTI, à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Nous l’avons suivi devant un écran géant, un grand écran branché sur France 24, en direct, avec une vingtaine de jeunes étudiantes et étudiants.
Discours suivi avec attention. Certains ont pris des notes, très concentrés. Il y a eu quelques sourires, des soupirs aussi. Mais vraiment, au final, ce qui ressort, c’est que ce discours n’a pas convaincu ces jeunes.
« Rien de nouveau », disait l’un deux qui avait suivi le discours de Ouagadougou en 2017. Il disait avoir eu le sentiment d’avoir entendu les mêmes choses, les mêmes mots, les mêmes promesses de rupture.
« C’était un discours infantilisant », disait un autre. Plusieurs ont dénoncé « des contradictions, des ambiguïtés ». Par exemple, quand le président Macron affirme qu’il ne souhaite pas rentrer dans une compétition sur le continent, c’est précisément parce qu’il sait que la compétition est féroce qu’il s’est prononcé.
Sur la démocratie aussi, plusieurs ont réagi en dénonçant un « deux poids, deux mesures » de la France sur la question des troisièmes mandats en Afrique ou encore sur la transition au Tchad.
« Il n’y a pas de sentiments antifrançais, mais il y a un sentiment pro-africain », c’est ce qu’ont dit plusieurs de ces jeunes, avec une volonté affichée de changement.
Ajoutons que ce discours n’avait pas du tout suscité de débat en amont, à Dakar. Rien à ce sujet dans la presse du jour. Quasiment aucun étudiant au CESTI n’était au courant, en avance, de cette allocution d’Emmanuel Macron cet après-midi.
Sécurité et partenariat
Kinshasa, capitale de la RDC, est l’une des étapes du voyage officiel du chef de l’État français. Joint par RFI, Christophe Lutundula, ministre des Affaires étrangères congolais, a donc noté différents points de l’allocution d’Emmanuel Macron, notamment les aspects sécuritaires et les partenariats économiques.
« Il y a à boire et à manger… le menu est très fourni. En ce qui nous concerne, nous, la RDC, je note, avec beaucoup d’intérêt, deux éléments fondamentaux. D’abord, le président Macron reconnaît que la France est comptable du passé et que jusque-là, il n’y pas de résultat, en tout cas, des résultats escomptés. »
« Il y a aussi un élément essentiel, en tout cas, pour nous, la RDC, c’est qu’il a souligné la centralité et la prééminence de la question de sécurité en Afrique. N’ayant pas la langue de bois, je pense que la position de la France vis-à-vis du Rwanda doit être claire. La France a demandé au Rwanda d’arrêter son soutien au M23, la France doit aussi porter une attention particulière sur la manière dont le Rwanda a reçu ce message, cette demande, et l’applique. »
« Le président a aussi parlé de l’appui à l’entrepreneuriat. C’est un chapitre qui nous intéresse parce qu’en réalité, il n’y a vraiment pas d’intérêts français, en tout cas pas importants, en RDC. »
Les éléments de langage changent mais pas le fond
« Partenariat », c’est sans doute le mot le plus utilisé par Emmanuel Macron durant son allocution. Le chef de l’État français souhaite mettre fin à la notion de « pré-carré » et nouer de nouvelles relations avec les États du continent… des expressions et un vocabulaire qui ne sont pas du goût de la société civile, notamment au Burkina Faso, ainsi que le souligne Eric Ismaël Kinda, porte-parole du Balai Citoyen, au micro de Guillaume Thibault.
« Quand on parle de relations France – Afrique ; des relations France avec le continent africain, comment voulez-vous que ce soit un pays avec tout un continent ? Il faut commencer d’abord par changer les éléments de langage ! »
« C’est un discours qui donne l’allure d’un président qui fait une autocritique, mais au fond, il n’en est rien du tout. C’est un vocabulaire qu’on essaye d’adapter, qu’on essaye de remodeler pour donner l’impression qu’on est en train de vouloir changer de ligne, de manière de faire. »
« Nous n’en voulons pas tellement à la France. La France ne fait que défendre ses intérêts et Macron est l’homme des grands patrons. Donc, il ne pouvait pas tenir un discours autre que celui qui met l’accent sur l’économie. Ce n’est pas le discours d’Emmanuel Macron qui va changer notre destin. Nous avons compris, depuis longtemps, qu’il nous appartient, à nous, de nous battre pour changer notre destin. On ne se met pas à rêver parce qu’un président français a livré un discours à l’endroit du monde et à l’endroit du continent africain. »
La réaction d’Eric Ismaël Kinda, porte-parole du Balai citoyen (Burkina Faso)
Même tonalité du côté de l’ONG Survie : sur le fond rien de neuf
Thomas Borrel est porte-parole de l’association Survie et coordinateur du livre L’empire qui ne veut pas mourir, une histoire de la Françafrique (2021). A ses yeux, rien de neuf dans la nouvelle vision des rapports entre les France et les pays africains prônée par Emmanuel Macron, comme il l’explique au micro de David Baché.
« Si sa vision est nouvelle, finalement ce que nous avons entendu n’est pas si nouveau, à part la manière de le présenter. Mais le fait de parler de partenariat est quelque chose d’assez ancien, y compris au niveau militaire – je renvoie au programme renforcement des capacités militaires lancé par Lionel Jospin en 1997. Au niveau économique, sur le fait de montrer l’intérêt économique de l’Afrique, là on se croyait revenu en 2013 avec les rapports parlementaires comme « L’Afrique est notre avenir » ou le rapport d’Hubert Védrine et de Lionel Zinsou, qui appuyait cette idée-là. Et puis, toujours, ce satisfecit sur certaines choses, comme le franc CFA, là où en réalité on a une réforme complètement de façade qui a été mise en œuvre ; ou sur les œuvres d’art, où on a eu quelques restitutions au compte-gouttes. Et donc finalement, il y a beaucoup de communication sur le fait d’avoir modifié un tout petit peu la politique africaine de la France et de faire croire qu’on est face à une grande révolution. C’est plutôt une manière de préserver, de tenter du moins de préserver, les acquis de la politique française en Afrique. »