
« Aujourd’hui, j’ordonne un blocus total et complet de tous les pétroliers sanctionnés entrant et sortant du Venezuela », écrivait le 16 décembre le président américain sur son réseau Truth Social. Quelques jours auparavant, le 10 décembre, on apprenait que le Skipper, qui transportait du brut à destination de Cuba et de la Chine, était arraisonné. Le navire était sous pavillon guyanais, pays également producteur de pétrole, voisin du Venezuela. Cependant, selon le gouvernement guyanais, ce pavillon était usurpé car le navire n’était pas enregistré dans le pays.
Pétrolier d’une vingtaine d’années, le Skipper – selon le site internet spécialisé MarineTraffic – avait déjà été sanctionné par le Trésor américain en 2022 pour des liens présumés avec le Corps des gardiens de la révolution islamique iranien et le Hezbollah. Il naviguait alors sous le nom d’Adisa.
Puis, le 20 décembre, ce fut le cas du supertanker Centuries, naviguant sous pavillon panaméen pour le compte d’une compagnie chinoise. Un bateau qui, lui, ne faisait pas partie de la liste des navires sous sanctions. Un responsable américain a indiqué que les garde-côtes cherchaient à déterminer la validité de l’immatriculation panaméenne du supertanker, selon le New York Times, qui précise que cet officiel tenait à s’exprimer anonymement tant le sujet est sensible.
Et ce dimanche 21 décembre, l’agence Reuters annonce qu’un troisième pétrolier serait « poursuivi » par les garde-côtes états-uniens. « L’un des responsables a indiqué que le pétrolier était sous sanctions. Ces responsables, qui ont requis l’anonymat, n’ont pas précisé le lieu de l’opération », ajoute l’agence.
Au moins 14 pétroliers sous sanctions américaines se trouvent en mer des Caraïbes, non loin du Venezuela, rapportait l’Agence France-Presse après analyses de données de navigation appuyées par des images satellitaires. Parmi les navires identifiés par l’AFP, 10 sont visés par des sanctions contre la Russie et deux seulement sont inscrits dans les programmes de sanctions américaines contre le Venezuela. Les deux restants sont sur la liste de sanctions contre le « terrorisme global » (SDGT). Des listes consultables sur le site du Trésor états-unien.
Sur les quelque 1 400 navires sous sanctions américaines dans le monde, 600 sont des pétroliers. Le blocus imposé par les États-Unis, qui ont déployé depuis cet été un important dispositif militaire dans les Caraïbes, est susceptible d’affecter ces pétroliers, selon une analyse de l’AFP fondée sur des données de l’Office of Foreign Assets Control américain et de l’Organisation maritime internationale. Sur ces 600 navires, 23 figurent dans deux programmes de sanctions visant explicitement le Venezuela : 11 ont été inscrits par le président républicain lors de son premier mandat, 6 par son successeur démocrate Joe Biden, et 6 autres ont été inscrits début décembre.
De la légalité du blocus maritime
Dans un éclairage juridique à propos de l’arraisonnement en mer, en juin dernier, du bateau Madleen transportant vers Gaza des militants de la cause palestinienne dont la Suédoise Greta Thunberg ainsi que la députée européenne Rima Hassan, la juriste Hélène Raspail soulignait qu’Israël avait fondé l’arraisonnement du navire sur le blocus dont la bande de Gaza fait l’objet depuis 2009. « Le blocus est une mesure militaire qui, dans son volet maritime, consiste à empêcher par la force toute communication par la mer d’une entité. Elle peut ainsi conduire à agir en haute mer contre des navires étrangers, mais à certaines conditions seulement. Puisqu’il s’agit d’une mesure utilisant la force armée, le blocus doit entrer dans le cadre d’une action en légitime défense – à moins d’être autorisé par le Conseil de sécurité de l’ONU. »
En temps de guerre, l’imposition d’un blocus peut s’avérer légale dans certaines circonstances, « mais en temps de paix, on ne peut pas prendre une mesure unilatérale et déclarer un blocus. Celui-ci ne peut être licite que s’il est fait sur la base d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU ou si un État vise à exercer sa légitime défense contre une attaque armée », renchérit M. Lanovoy, professeur de droit international public à l’Université Laval, interrogé dans Le Devoir.
Ces deux cas de figure ne s’appliquent pas au Venezuela. De plus, le blocus est imposé aux pétroliers en haute mer. « C’est un espace qui ne relève d’aucune souveraineté. » Donald Trump ne peut imposer une « exécution forcée [de ces sanctions] dans les espaces qui ne relèvent aucunement de la souveraineté des États-Unis », ajoute encore le juriste. Est-ce que ce blocus est légal ? « Non, répond l’universitaire, c’est un cas d’école d’illégalité. »
Les frappes sur les présumées embarcations de trafiquants tout aussi illégales
Les frappes sur de présumées embarcations de trafiquants de drogue menées par la marine américaine sont tout autant illégales. Plus de cent personnes ont été tuées lors de ces frappes, rappelle le New York Times, qui tient un décompte précis des frappes et des victimes.
Un blocus indiscriminé qui prive la population civile de moyens de subsistance est clairement prohibé, expliquait encore Hélène Raspail. Le blocus maritime total organisé par Israël dans les eaux qui bordent la bande de Gaza était donc internationalement illicite. Le blocus actuel imposé par les États-Unis au pétrole vénézuélien privera Caracas d’une partie importante de ses revenus, soulignait le spécialiste du Venezuela Thomas Posado, sur notre antenne, au risque de faire revivre à la population les privations qui ont conduit près de huit millions de Vénézuéliens à fuir le pays.
Arraisonnement d’un navire, que dit le droit maritime ?
Le principe du droit international à propos des eaux internationales est celui de la liberté de navigation. Les États n’exercent leur pouvoir que sur la base de la nationalité des engins qui y naviguent. Ce pouvoir est exclusif de tout autre, c’est-à-dire que seul l’État dit « du pavillon » (qui équivaut à la nationalité) a le droit d’agir contre un navire conformément à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée à Montego Bay en 1982, explique la juriste Hélène Raspail.
La lutte contre la criminalité en mer peut parfois justifier certaines exceptions et des nuances à l’exclusivité du pouvoir de l’État du pavillon en haute mer. Une exception est le cas de la piraterie, qui confère à tout État le pouvoir d’agir, au titre d’une compétence dite universelle.
L’arraisonnement sert à établir l’identité d’un navire suspect ou à déterminer la légitimité de sa cargaison. Il peut également servir à recueillir des informations pour prévenir le terrorisme. Le droit international autorise l’arraisonnement d’un navire s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il n’est pas légitimement immatriculé auprès de l’État dont il bat le pavillon.